Le projet de décret de réforme de l’assurance chômage a été transmis au Conseil d’Etat le 4 juin dernier.
Bien sûr, le contexte politique actuel a entre-temps profondément modifié la donne. Mais la ministre du Travail, Catherine Vautrin, a confirmé qu’un décret serait malgré tout publié le 1er juillet afin de mettre en œuvre cette nouvelle réforme. Une demi-surprise pour celles et ceux qui ont suivi le dossier puisque les règles applicables en matière d’assurance chômage tombent le 30 juin 2024 comme le prévoit le décret du 21 décembre 2023 prorogeant temporairement les règles du régime de l’assurance chômage.
Ce qui est le plus probable, c’est que le décret soit effectivement publié le 1er juillet, et qu’un nouveau décret soit pris d’ici la fin de l’année (la réforme sera effective le 1er décembre 2024) si une nouvelle majorité politique vient à voir le jour dans les prochaines semaines.
En attendant, retour sur les principales mesures du décret actuel et ses conséquences pour les demandeurs d’emploi et les créateurs d’entreprise.
Quelles sont les principales mesures de la nouvelle réforme de l’assurance chômage ?
L’assurance chômage fait l’objet d’une nouvelle réforme de ses règles d’indemnisation : la troisième en cinq ans. Elle impactera durement de nombreux salariés involontairement privés de leur emploi à compter du 1er décembre 2024.
Le dernier décret relatif au régime d’assurance chômage en date du 26 janvier 2023 avait déjà, j’aime bien ce mot, « aménagé » les règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi.
Comprenez par « aménagement » la diminution pure et simple de la durée d’indemnisation de 25 % : on passe de 24 à 18 mois. Cette diminution est la conséquence directe de l’introduction d’une variation de la durée d’indemnisation en fonction du contexte économique du pays.
Pour simplifier :
Si le taux de chômage augmente, la durée de l’indemnisation augmente aussi.
Si le taux de chômage baisse, la durée de l’indemnisation baisse aussi.
Nouveau millésime 2024, alors que nous n’avions pas fini de nous délecter du dernier cru 2023, on renforce encore le côté « tanique » des règles actuelles d’indemnisation, dont trois d’entre elles auront un nez particulièrement prononcé :
- Durcissement des règles pour bénéficier de l’assurance chômage. Il faudra désormais avoir travaillé 8 mois à temps plein sur les 20 derniers mois (ou les 30 derniers pour les plus de 57 ans) contre 6 mois sur les 24 derniers mois jusqu’alors ;
- Nouvelle baisse de la durée d’indemnisation. La durée d’indemnisation variait en fonction du contexte économique entre 18 et 24 mois avant la réforme. Elle pourra varier entre 12 mois et 20 mois après la réforme. Au taux de chômage actuel, la durée d’indemnisation passe de 18 mois à 15 mois.
- Relèvement de la limite d’âge permettant de bénéficier d’une durée d’indemnisation allongée. On passe de 53 à 57 ans. Les « seniors » entre 53 et 57 ans sont les plus durement touchés. Ils étaient jusque-là indemnisés pendant 22,5 mois (53 et 54 ans) ou 27 mois (au delà de 55 ans) . Ils se verront désormais appliquer la durée classique : 15 mois.
Les créateurs d’entreprise parmi les grands perdants de la réforme
Même si l’entrepreneuriat n’a pas toujours bonne presse en France, notre système a toujours été généreux pour favoriser la création d’entreprise.
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le délégué général d’anciennement Pôle emploi, Thibaut Guilluy : « France Travail est le premier business angel des entrepreneurs ».
Effectivement, deux possibilités s’offrent aujourd’hui aux demandeurs d’emploi souhaitant créer leur activité et dans les deux cas, cette nouvelle réforme viendrait réduire la capacité financière des futurs créateurs d’entreprise.
- La possibilité de transformer leur allocation de retour à l’emploi (ARE) en capital pour partie. C’est ce que l’on appelle l’ARCE, l’aide à la reprise ou à la création d’entreprise. Pour faire simple, on additionne la somme totale d’indemnités que l’on aurait dû percevoir sur 18 mois (imaginons 20 000 euros), et on prend 60% de cette somme (soit 12 000 euros). Ces 12 000 euros seront versés sous forme de capital en deux fois : une première partie lors de l’immatriculation de l’entreprise, et une deuxième après 6 mois d’activité si celle-ci existe toujours. On le comprend tout de suite, si la durée d’indemnisation baisse à 15 mois, voire plus (12 mois si le chômage passe sous les 6,5 %) le capital sera bien moins élevé ! Cette mesure impacte durement les entrepreneurs qui ont souvent un besoin d’un capital initial minimum afin d’acheter du matériel avant de se lancer de manière effective. Et ne me parlez pas de prêt bancaire dans ces cas-là, je commence à voir rouge…
- La possibilité de demander le maintien de l’ARE en créant une entreprise. Le maintien est total si on ne se rémunère pas via son activité entrepreneuriale pendant le temps d’indemnisation. Si on perçoit une rémunération ou si on exerce son activité en micro-entreprise, on bénéficie sous certaines conditions du cumul allocation – rémunération. Je ne rentre pas dans le détail ici mais cette mesure permet par exemple à un micro-entrepreneur de percevoir un complément de la part de France Travail (une partie de son allocation) jusqu’à épuisement de ses droits tout en allongeant la durée de son indemnisation. Pour comprendre le fonctionnement 👉 Voir explications de l’Unedic.
La nouvelle réforme modifie cette possibilité et change les règles de ce cumul. Désormais, les rémunérations issues d’une activité non salariée seront intégralement cumulables avec l’ARE. Par contre ce cumul ne sera possible que dans la limite de 60 % du reliquat des droits du créateur d’entreprise. Un créateur d’entreprise qui souhaite bénéficier du cumul allocation – salaire « perd » donc 40 % de ses droits par rapport à la situation avant réforme.
On n’est pas étonnés. Ces dernières semaines, cette mesure était souvent critiquée. Certains y voient un « effet d’aubaine » pour les créateurs d’entreprise qui cumuleraient moults profits tout en « abusant » de l’assurance chômage. Permettez-moi trois réponses :
- Tout d’abord, les personnes bénéficiant de ce système ont cotisé, comme tous les chômeurs indemnisés, si cela a encore une importance de le dire ;
- Pour être entrepreneur depuis sept ans et partageant mon quotidien avec bon nombre de mes pairs, je me permets de témoigner que l’on ne crée par une entreprise pour un quelconque « effet d’aubaine », surtout au vu des vicissitudes que l’on s’apprête à affronter. Et si deux personnes s’amusent à le faire au fond de la classe, merci de ne pas punir les 30 élèves qui font bien les choses : j’ai toujours détesté ce concept éducatif…
- Enfin louons notre pays pour ce système qui permet à bon nombre d’entreprises de voir le jour ! En sus, rappelons-le, ces entreprises vont créer de l’emploi et de la richesse, et elles rembourseront bien plus que le prétendu « effet d’aubaine » dont elles auraient profité, croyez-moi sur parole…
J’ajouterai que j’ai toujours vu dans ce dispositif une mesure de justice sociale qui profite à tous, quel que soit notre âge, notre milieu social et notre lieu de résidence. Parce qu’au-delà de l’opportunité de tester son marché, de faire des investissements et de gagner en assurance et en sérénité avant de se jeter dans le grand bain, cela permet à des personnes sans héritage, riche entourage ou grande fortune de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Comme beaucoup, j’ai du love dans la famille, mais pas beaucoup de money… (faisant référence à l’expression « love money » dans le milieu de la levée de fond qui consiste pour une entreprise à se tourner en premier vers son proche entourage pour financer son lancement). Si l’on veut calquer notre modèle entrepreneurial sur celui du marché foncier, allons-y, place aux héritiers (contre qui je n’ai rien soit dit en passant).
Le problème de fond c’est le manque de prise en compte, et de dialogue, autour de la réalité des entrepreneurs, notamment solo mais pas que, dans un pays déjà critiqué pour son manque de culture entrepreneuriale. Cette position du gouvernement est d’autant plus illisible qu’à la fois il semble prompt à encourager la micro-entreprise et autres dispositifs pour se lancer, et d’un autre côté enchaîne les mesures limitant la possibilité réelle pour le faire.
Espérons comme Bruno le Maire et le Président de la République semblent l’indiquer, qu’une nouvelle discussion aura lieu sur le texte, mais même dans ce cas, on peut douter que la voix des indépendants et créateurs d’entreprise soit entendue.