Voici la raison d’être de l’Association pour l’emploi des cadres. Cette association paritaire (c’est-à-dire dont la gouvernance est constituée d’organisations syndicales et patronales) a été créée en 1966 sous l’impulsion de la CGC (aujourd’hui CFE-CGC) et du MEDEF (ex-CNPF).
Depuis, elle accompagne et conseille cadres et jeunes diplômés dans la sécurisation de leur parcours professionnel tout au long de leur vie, tout en offrant aux entreprises des services afin d’optimiser leur recrutement.
Laetitia NIAUDEAU, la Directrice générale adjointe de l’Apec nous a fait le plaisir d’échanger avec l’ Archipel afin de nous expliquer le fonctionnement de l’Apec et nous exposer son point de vue sur le contexte économique actuel et les principaux enjeux auxquels sont confrontés les cadres.
- Quelles sont les principales missions de l’Apec et quels services propose-t-elle à ces publics ?
- 2025 est marquée par une incertitude conjoncturelle et économique forte que peut-on attendre en 2025 ?
- Comment expliquez-vous ce phénomène les écarts de salaire entre les femmes et les hommes cadres persistent en entreprise. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Quels sont les leviers selon vous qui pourraient être activés pour (enfin) changer notre culture d’entreprise ?
- Comment l’Apec a-t-elle accompagné et accompagne-t-elle cesnouvelles aspirations apparaître chez les cadres (autonomie, liberté, meilleur équilibre vie pro vie perso), ces mutations du travail ?
- Les formes alternatives d’activité (FAA) : portage salarial, groupements d’employeurs, coopératives d’activité et d’emploi, CDI intérimaire ou encore micro-entreprise. Qu’est-ce qui vous a poussé à aller sur ces sujets ? Pensez-vous que ces formes d’emploi peuvent favoriser le recrutement des cadres dans cette période d’incertitude ?

Merci à Laetitia NIAUDEAU d’avoir répondu à nos questions. Vous pouvez également retrouvez toutes nos autres interviews ici !
« Question 1 : Derrière L’Apec s’adresse à trois typologies de public :
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A l’ensemble des cadres ;
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Aux jeunes diplômés ;
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Et, on le sait moins, aux entreprises du secteur privé, et notamment les TPE-PME.
Quels sont les principales missions de l’Apec et quels services propose-t-elle à ces publics ?
L’APEC a trois grandes missions d’intérêt général :
• Tout d’abord l’accompagnement des cadres et des jeunes diplômés à partir de bac+3.
L’Apec est présente à chacun des moments clés de leurs parcours, de l’entrée dans l’emploi, en passant par le désir de changement de poste voire d’entreprise et/ou de secteurs d’activité, à la rupture professionnelle. A chacune de ces étapes, nous leur proposons des solutions adaptées.
Toujours dans cette mission d’accompagnement, l’association fait partie des organismes qui proposent le conseil en évolution professionnel (CEP). C’est un dispositif gratuit et personnalisé qui a pour objectif de construire et de mettre en œuvre le projet professionnel des personnes accompagnées.
L’objectif est de permettre aux cadres d’anticiper les choses, d’éviter les ruptures trop brutales, et de construire un projet d’avenir solide. Un cadre peut lui-même faire appel au CEP, mais les entreprises et les services RH peuvent également solliciter ce dispositif pour leurs salariés.
Rappelons-le c’est gratuit, comme l’ensemble des services que nous proposons : ils sont préfinancés par les cotisations versées à l’association par les entreprises et les cadres.
L’Apec a aussi une attention particulière pour les cadres et jeunes diplômés en situation plus difficile vis-à-vis du marché de l’emploi et qui peuvent subir des discriminations.
Nous avons par exemple des accompagnements spécifiques pour les cadres seniors et les jeunes diplômés des quartiers prioritaires de la ville.
Si globalement le taux de chômage des cadres est inférieur aux taux de chômage de l’ensemble des actifs, certains publics présentent des facteurs de risque particuliers.
Il est donc important pour nous d’avoir des actions dédiées pour favoriser leur retour ou leur maintien dans l’emploi.
• L’Apec a également une mission d’intérêt général vis-à-vis des entreprises.
Nous sommes à leur côté principalement pour les aider au recrutement de cadres.
Dans un marché toujours tendu, nous les aidons à faire un pas de côté, à ne pas chercher le mouton à 5 pattes, à regarder des profils plus originaux ou avec des parcours qui peuvent leur sembler atypiques mais qui détiennent les compétences dont elles ont besoin.
On travaille avec elles également sur leur attractivité, leur marque employeur afin qu’elles attirent des profils qui sont parfois sursollicités.On organise des évènements en présentiel entre les dirigeants des TPE/PME et des cadres, notamment le soir après la journée de travail. Nous proposons également des webinaires dédiés au recrutement entièrement en ligne.
Par ailleurs nous innovons avec des évènements atypiques autour du sport par exemple ou de la cuisine afin de se faire rencontrer les candidats et les recruteurs sous d’autres formats, moins classiques.
Plus de 80 % des entreprises que nous conseillons sont des TPE/PME. Les entreprises de grande taille ont souvent des services de ressources humaines structurés qui leur permettent de gérer les recrutements et leur image de marque et elles ont donc moins besoin de nos services.
• Troisième et dernière mission d’intérêt général qui nous tient à cœur : éclairer les autres acteurs de l’emploi et le grand public sur les tendances du marché de l’emploi à travers nos études et nos analyses.
« Notre objectif est de documenter et d’apporter une meilleure connaissance du marché du travail tel qu’il est aujourd’hui mais aussi d’anticiper les tendances à venir pour que les cadres et les recruteurs puissent mieux s’y préparer. Ce travail s’effectue au sein de notre observatoire de l’emploi cadre dont toutes les publications sont accessibles sur notre site. »
Sur la partie service, on marche sur nos deux jambes :
• Nous proposons à la fois des modalités d’accompagnement digital (jobboard par exemple), un simulateur de salaires, très apprécié, un simulateur d’entretien, de la data pour les cadres…
• … et de l’accompagnement humain, qui est une grande force.
Notre réseau sur le territoire est de plus en plus développé avec plus de 70 centres implantés partout en France, y compris dans les territoires ultramarins (DROM).
Nous investissons et modernisons nos centres. Ils ont vocation à être des lieux ressources pour nos clients, où ils peuvent venir travailler ensemble, échanger avec les équipes de l’Apec, faire du co-searching (Ndlr : contraction « coopération » et « job searching »).
Cette méthode permet de regrouper des cadres en recherche d’emploi pour qu’ils unissent leurs efforts et partagent leurs expériences, ressources, et réseaux, et collaborent en échangeant des bonnes pratiques. C’est une méthode de recherche d’emploi basée sur l’entraide qui fonctionne très bien.
Question 2 : 2025 est marquée par une incertitude conjoncturelle et économique forte. Si les embauches des cadres avaient atteint un record historique en 2023 (avec près de 330 000 embauches) et que les prévisions 2024 étaient bonnes, que peut-on attendre en 2025 ?
Les résultats de notre enquête annuelle viennent, sans surprise, confirmer les tendances observées dans nos derniers baromètres trimestriels qui donnaient à voir depuis l’été dernier les signes d’un ralentissement des recrutements cadres.
Cette fois, plus que d’un ralentissement, nous pouvons parler d’un véritable retournement de tendance. Les recrutements cadres en 2024 ont chuté de 8 % par rapport à 2023, en lien avec la contraction des investissements des entreprises (pour la première fois depuis 2009, hors crise sanitaire), et ceux de 2025 devraient encore baisser de 4%, repassant sous la barre des 300 000 recrutements.
Tous les secteurs sont concernés, en particulier le « moteur » des services à forte valeur ajoutée comme l’informatique (-18%). Tous les territoires également, à des ampleurs variables (le Nord et l’Est sont particulièrement touchés).
Comme à chaque dégradation de la conjoncture ce sont les recrutements des jeunes diplômés qui vont le plus reculer et ce phénomène touche aussi les cadres les plus expérimentés.
« Question 3 : Malgré une législation importante sur le sujet, les écarts de salaire entre les femmes et les hommes cadres persistent en entreprise. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Quels sont les leviers selon vous qui pourraient être activés pour (enfin) changer notre culture d’entreprise ?
Cet écart de salaire entre les femmes et les hommes, cadres en l’occurrence, a peu évolué ces dernières années et reste d’environ 12%.
Cet écart s’explique notamment par les différents types d’emploi exercés par les femmes et par les hommes, à l’ancienneté dans la classification cadres (les hommes étant cadres depuis plus longtemps en général) ou encore les postes de management ou de cadres dirigeants plus souvent occupés par des hommes.
En revanche, là où c’est plus surprenant, c’est quand on compare les salaires à profil et poste équivalent : on est toujours à 7% d’écart de salaire et ce depuis au moins 10 ans. Cette « stabilité » depuis 2015 s’explique difficilement.
L’explication la plus plausible est liée aux biais conscients ou inconscients sur le genre qui continuent d’exister et qui entrainent des conséquences concrètes : par exemple les femmes sont augmentées de manière moins régulière que les hommes et ont moins de part variable dans leur rémunération, même dans la fonction commerciale. La culture de certains secteurs d’activité freine également les femmes dans leur choix de parcours professionnel.
Une autre hypothèse que l’on peut avancer est que les femmes prennent encore en charge plus de tâches domestiques, familiales, qu’elles s’occupent des enfants ou qu’elles soient aidantes familiales, par exemple.
Cette question de l’équilibre dans la vie personnelle est un élément de difficulté pour les femmes dans la gestion de leurs parcours professionnels. Mais c’est une problématique sociétale plus globale que celle de l’emploi, cela ne concerne pas que les entreprises, ces biais sont inscrits dans le quotidien. Bien sûr les entreprises peuvent agir, en mettant en place du télétravail, ou en ne mettant pas des réunions à 8h du matin ou à 18h.
Au niveau plus global, il faut repenser le congé paternité, le congé parental afin qu’ils soient mieux partagés par les deux parents.
Les études montrent que la parentalité fait chuter durablement les courbes de progression de carrière pour les femmes. On constate également une répartition genrée dans certains métiers ou secteur d’activité dans lesquels la mixité est trop faible pour assurer une égalité de parcours. Ce sont en général les métiers et secteurs les plus rémunérateurs : la R&D, l’industrie, la Tech, contrairement au secteur du médico-social, RH, qui sont majoritairement féminins.
« Il y a encore trop de stéréotypes, il faut prendre le sujet à bras le corps le plus tôt possible, dès le parcours universitaire, voire avant.
Dans le secteur de la tech, il n’y a aujourd’hui que 24% de femmes, selon notre dernière étude du 27 février 2025 sur le sujet. »
On retrouve des chiffres similaires dans la part des femmes qui sont cadres dirigeantes, cela en dit long sur le chemin qu’il reste à parcourir.
Question 4 : Post covid on a vu de nouvelles aspirations apparaître chez les cadres (autonomie, liberté, meilleur équilibre vie pro vie perso). C’est appelé à durer selon vous ? Comment l’Apec a-t-elle accompagné et accompagne-t-elle ces nouvelles aspirations, ces mutations du travail ?
Ces nouvelles aspirations sont apparues avant la crise sanitaire due au COVID en réalité même si cela s’est rapidement démocratisé ensuite. Et pour répondre à votre question, oui nous sommes convaincus à l’Apec que cela va durer, voire se renforcer.
Les cadres aujourd’hui aspirent à plus de liberté et d’autonomie, d’équilibre des temps de vie et souhaitent donner du sens à leur activité professionnelle. Outre-Atlantique, où on a pu observer un retour en arrière sur le télétravail, en France 2/3 des cadres télétravaillent régulièrement, et 8 cadres sur 10 seraient très mécontents si cela venait à s’arrêter.
Dans notre dernière étude sur le sujet parue en mars 2025, près de la moitié d’entre eux se disent même prêts à quitter leur entreprise si celle-ci mettait fin au télétravail.
Les reconversions professionnelles ont augmenté également, les cadres expriment plus facilement leurs désirs et font des choix professionnels plus en phase avec leurs valeurs.
Les priorités ont changé, les questions sociales, écologiques sont aujourd’hui importantes. La plupart des cadres cherchent à avoir un impact positif sur la société et veulent donner du sens à leurs actions.
Mais attention, le pouvoir d’achat reste tout de même une priorité : avoir une bonne rémunération reste le 1er critère de choix pour une grande majorité de cadres.
Côté entreprises, certaines d’entre elles ont rééquilibré le temps passé par les salariés en télétravail. Mais peu sont allées jusqu’à le supprimer : les entreprises interrogées ont mis en place entre 1 à 3 jours de télétravail par semaine.
Elles y voient aussi un intérêt, cela attire de nouveaux profils et améliore la qualité de vie de leurs salariés.
Sur ces sujets des nouvelles aspirations du travail, Gilles GATEAU, Directeur général de l’Apec, a dirigé un ouvrage « 2030 … le travail a changé » paru aux éditions du Cherche-midi fin 2024 sur la transformation du travail et les nouveaux défis auxquels nous faisons face qu’ils soient écologiques ou technologiques : « 2030 … le travail a changé ». Il traite principalement de la nouvelle place du travail pour les cadres, qui est moins central aujourd’hui avec une plus grande recherche de flexibilité en termes de temps et de lieu de travail.
Question 5 : Nous avons accompagné l’Apec pendant plusieurs années pour sensibiliser ses consultants aux formes alternatives d’activité (FAA) : portage salarial, groupements d’employeurs, coopératives d’activité et d’emploi, CDI intérimaire ou encore micro-entreprise.
Qu’est-ce qui vous a poussé à aller sur ces sujets ? Pensez-vous que ces formes d’emploi peuvent favoriser le recrutement des cadres dans cette période d’incertitude ?
Les mutations du travail et le désir de plus en plus de personnes de travailler autrement sont des phénomènes que l’on a observés depuis plusieurs années.
Ce sujet de l’hybridité professionnelle est important et il était impératif que nous puissions l’adresser de la bonne manière.
Beaucoup font désormais le choix de travailler différemment et pas seulement les cadres en fin de carrière comme c’était souvent le cas à une époque.
Aujourd’hui non seulement les cadres seniors choisissent délibérément de se lancer dans le freelancing, en portage salarial par exemple, mais de nombreux jeunes diplômés exercent très tôt une activité professionnelle via des formes d’emploi dîtes atypiques.
Grâce à la Faabrick Cherdet et vos analyses et outils sur le sujet, c’est aujourd’hui un accompagnement et un éclairage que l’on apporte aux cadres et jeunes diplômés, notamment au travers d’ateliers sur le sujet des formes alternatives d’activité (FAA). Cela fonctionne très bien, il y a en effet une carence d’informations sur ces dispositifs, c’est souvent mal connu et mal appréhendé. Mais quand les personnes sont mieux informées, ces dispositifs les intéressent grâce à leurs atouts : autonomie, flexibilité, conciliation des temps de vie.
Finalement on se rend compte que ces formes d’emploi remplissent les conditions dont nous parlions tout à l’heure et répondent à des attentes fortes. Elles manquent de notoriété, donc notre travail et le vôtre principalement est de les faire mieux connaître !
Vous pouvez également retrouver toutes nos anciennes interviews ici !