Interview #10 – François HUREL – Président de l’Union des Auto-Entrepreneurs

septembre 5, 2024

Nous avons eu la chance d’interviewer Hervé Novelli, secrétaire d’Etat en charge des PME, pour fêter les 15 ans de l’auto-entreprise (terme largement préféré par ses créateurs à « micro-entreprise » qui est je le précise chers lecteurs et lectrices, exactement la même chose.)

Nous accueillons aujourd’hui François Hurel, auteur du rapport remis au gouvernement en 2008 et qui a donné vie, on peut le dire, à ce dispositif largement plébiscité par les Français.

A l’instant où nous écrivons ces lignes, on ne dénombre en effet pas moins de 3 000 inscriptions d’Autoentrepreneurs par jour en France !

Avocat de formation, François Hurel a été conseiller technique au cabinet de Jean-Pierre Raffarin et d’Alain Madelin avant de créer l’APCE (l’agence pour la création d’entreprises) en 1996. Il a été président du Forum de l’Entrepreneuriat de l’OCDE à partir de 1998. Il crée en avril 2009 l’Union des Auto-Entrepreneurs (UAE).

Des questions simples et directes, des réponses sans langue de bois, c’est ce qu’on aime, c’est parti pour cette nouvelle interview de l’Archipel !

Hervé Novelli micro-entreprise 15 ans

 

Merci à François Hurel d’avoir répondu à nos questions.

Vous pouvez également retrouvez toutes nos autres interviews ici !

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François HUREL, bonjour, entrons dans le vif du sujet : que pensez-vous des récentes évolutions législatives affectant les auto-entrepreneurs ?

Ces récentes évolutions m’inspirent une chose : la meilleure politique en ce moment, c’est de ne toucher à rien ! Quand nous voyons l’état de crispation social et institutionnel de notre pays, il y a beaucoup d’urgences et surtout celle de ne pas toucher à ce qui marche !

L’autoentreprise, ça fonctionne. Donc moins on y touchera, moins on dévoiera un dispositif que les Français plébiscitent.

Bien sûr, et je l’espère à l’avenir, j’aimerais faire évoluer ce régime pour qu’il réponde encore mieux aux préoccupations de nos concitoyens.

Mais aujourd’hui, la priorité c’est de défendre et promouvoir ce régime.

La société a évolué beaucoup plus rapidement que certains de ses représentants institutionnels. Ils sont parfois restés dans un ancien monde, avec d’anciennes préoccupations, ils n’ont pas beaucoup changé depuis les années 2000, donc prudence. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une modification qui remette en cause tout l’édifice que nous avons bâti depuis 15 ans. Donc vigilance.

Politiquement, certains ne voient pas encore suffisamment l’auto-entreprise comme le dernier ascenseur social sans doute en marche.

Preuve en est, ce régime peut être utilisé pour exercer une activité à titre exclusif, il peut se cumuler avec une autre activité par exemple salariée ou artiste-auteur. Il est aussi l’apanage des « slasheurs », c’est-à-dire de celles et ceux qui alternent des façons de travailler différentes avec des natures d’activités distinctes. Tout cela montre à quel point le regard des Français sur leur manière de travailler change. La société évolue.

Son évolution se marque aussi par la pérennité de certaines et certains à exercer continuellement dans ce régime même parfois depuis 15 ans. Le régime de l’auto-entrepreneur est aussi est formidable vivier pour que les auto-entrepreneurs grandissent à l’intérieur de ce régime ou vers d’autres formes juridiques.

J’espère en tout cas que la prise de conscience de l’engouement et des potentialités autour de ce régime évitera que certains esprits chagrins aient l’idée de le remettre un jour en cause.

Parmi les réflexions positives avancées par les Françaises et les Français, citons que :

  • la création du régime de l’auto-entreprise bien sûr, qui a ouvert un nouveau champ des possibles ;
  • le développement des plateformes de mise en relation commerciale a permis de vendre plus facilement ses services en tant qu’indépendant ;
  • la Covid, a joué un rôle d’accélérateur aux nouveaux modes de travail, notamment le travail à distance et un meilleur équilibre vie professionnelle – vie personnelle ;
  • le salariat manifestement séduit moins, c’est incontestable. Les actifs ont d’autres attentes, mais cela ne signifie certainement pas que le salariat va disparaitre loin de là : on ne construira pas un Airbus demain uniquement avec des indépendants.

Cependant certains dernières évolutions (augmentation des cotisations sociales des micro-entrepreneurs qui exercent une activité libérale) illustrent parfaitement la vigilance qu’il faut apporter à ce régime et à son évolution.Nous avions réussi en novembre 2022 avec l’UAE à obtenir de la Direction de la Sécurité sociale (DSS) la clé de répartition des cotisations sociales des auto-entrepreneurs.

Pour un indépendant au régime des BIC (dont l’activité est l’achat-revente ou la prestation de services artisanales par exemple), 41 % de leurs cotisations vont à la retraite de base, et 17 % à leur retraite complémentaire.

On imaginait que c’était la même chose pour les auto-entrepreneurs en activité libérale/BNC qui représentent tout de même 70% des indépendants. En tout cas, le régime avait été conçu en 2009 identiquement pour ces deux catégories d’activités.

Et bien non ! En réalité dans le cas des auto-entrepreneurs en BNC, 55 % des cotisations vont vers la retraite de base, et 0 % vers leur retraite complémentaire !

Pour comprendre ce qu’il s’est passé, il faut revenir en 2018 (suppression du RSI et rattachement de la plupart des micro-entrepreneurs à la sécurité sociale des indépendants). Face aux difficultés de la CIPAV, le pourcentage de cotisation normalement dévolue à la retraite complémentaire a été « redirigé » vers la CIPAV pour sans doute renflouer ses caisses. En pratique, il a été purement et simplement supprimé la retraite complémentaire de ces auto-entrepreneurs en BNC.

Un auto-entrepreneur s’en est rendu compte et a saisi le tribunal administratif et le contentieux a été porté jusqu’au Conseil d’Etat. La plus Haute juridiction administrative de France a logiquement contraint le gouvernement à recréer un droit à une retraite complémentaire pour tous ces indépendants. C’est tant mieux. Maintenant et comme on pouvait le craindre, la méthode a été pour le moins simpliste : résultat 5 points de plus de cotisation pour les autoentrepreneurs, on va passer de 21,1% à 26,1% (en 2026) de cotisations sociales globales … ce qui représente une augmentation de 20%, c’est une confiscation de revenu !

Je n’ai évidemment pas d’opposition à la création de droits nouveaux, mais d’une part ce n’est pas la bonne manière de le faire, et d’autre part avant d’augmenter une cotisation la moindre des choses serait d’afficher en toute transparence quels sont les droits nouveaux acquis.

Vous avez réussi il y a 15 ans maintenant à profondément modifier l’exercice de l’activité professionnelle de millions de français, quelle est l’étape d’après ?

Même si la société a profondément changé en 15 ans, selon moi deux catégories de réforme sont à envisager pour l’avenir dès que nous le pourrons :

  • Première catégorie de réforme sur le droit qui concerne l’activité de tous les indépendants :

Dans la continuité de la création de l’auto-entreprise, il faut aujourd’hui permettre à plusieurs indépendants de travailler ensemble simplement, sans complexité !

Deux indépendants ne devraient pas avoir à obligatoirement créer une société lorsqu’ils veulent réaliser une mission pour un client. En France, il est difficile de produire une seule facture et un seul devis pour une même prestation exécutée conjointement par deux indépendants.

Ce serait une évolution importante : il faut permettre à nos indépendants ce que les anglosaxons font bien avec le Partnership, travailler ensemble. Si le principe du GIE (groupements d’intérêts économiques) suit cette philosophie, il est totalement inadapté pour des travailleurs indépendants qui recherchent simplicité et agilité pour proposer leurs services complémentaires, et sans complexité qui dure.

J’ai la conviction qu’il faut écrire dans notre droit un partnership à la française entre indépendants, il faut laisser « le chemin de la vie économique » se tracer : plus ce sera simple et intuitif, plus les gens le feront naturellement.

La seule vraie question est celle de la responsabilité de chacun en cas de problème. Dans 90% des cas ce ne sera pas un enjeu, mais dans certains cas cela le sera peut-être. Mais face à ce genre de situation, je me répète toujours cette phrase de JF Kennedy : « Ne me demandez pas si aller sur la lune c’est compliqué, mais dîtes-moi plutôt comment on va faire pour y arriver. »

  • Autre réforme sur le droit, celle de la protection sociale des indépendants : la prévoyance

C’est un sujet capital pour l’avenir. Si je suis indépendant et que j’ai malheureusement un accident, ma protection sociale couvrira mes soins.

En revanche, si je n’ai plus la capacité d’exercer mon activité, je ne pourrai plus facturer et je serais sans ressources. L’assurance prévoyance couvre ce type d’accident de la vie obligatoirement pour les salariés, et pas pour les indépendants. Comment envisager de laisser 12% des actifs sans une protection de cette nature ?

  • Deuxième catégorie de réforme, le « droit du mieux vivre » pour les indépendants : nous ne sommes plus sur des modifications législatives, mais sur des changements de comportements indispensables au niveau d’une société.

Il faut mettre en place un écosystème qui permette aux indépendants de vivre de leur activité comme les salariés.

Ils émettent des factures et génèrent un chiffre d’affaires, et pourtant, ils n’ont pas le même accès que les salariés pour emprunter ou louer un logement. La déclaration de chiffre d’affaires doit ouvrir les mêmes droits que la fiche de salaire.

Autre sujet qui n’aide pas à régler le précédent, celui de la représentation des indépendants. Nous fonctionnons en la matière avec des règles datant de 1945 …

La représentation de ces « nouveaux travailleurs » n’est pas logiquement prise en compte. Les auto-entrepreneurs ne sont ni des employeurs, ni des salariés. Union indépendants, issue de la CFDT et de l’UAE, a été construite en direction de cette population. Il me semble que la Ministre du Travail, Elisabeth BORNE n’était d’ailleurs pas opposée à la mise en place d’une représentation ad hoc pour les indépendants. Avec l’ARPE, nous avons entraperçu une voie possible, même si l’on est resté au milieu du gué selon moi.

Les auto-entrepreneurs, et les indépendants en général doivent être représentés de façon autonome, hors des représentants des salariés ou des employeurs.

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Quels sont les défis et opportunités pour les auto-entrepreneurs dans le contexte économique actuel ?

Le premier défi est de préserver cet espace de liberté que l’on a donné aux Français.

Être auto-entrepreneur aujourd’hui, c’est une liberté, il faut la protéger et la promouvoir.

Mais les Français ne sont pas forcément acculturés à l’économie. Il faut donc que des acteurs économiques et institutionnels accompagnent les auto-entrepreneurs quand ils se lancent. C’est bien de leur permettre de créer une entreprise en quelques minutes, mais après, il faut les accompagner pour leur apprendre à facturer et vivre de leur indépendance.

Les plateformes sont une solution, mais c’est aussi pour certains indépendants synonyme de perte d’une partie de leur autonomie.

La priorité est selon moi de développer de véritable partenariat à commencer avec France Travail, qui irait au-delà des aspects simplement administratifs, juridiques et comptables de l’entrepreneuriat.

La priorité c’est de « remplir leur frigo », il ne faut pas l’oublier, et en la matière nos accompagnements par rapport aux anglosaxons par exemple ne sont pas au niveau des enjeux.

C’est avec cette idée en tête que nous avons décidé avec l’UAE de proposer une formation dispensée par des québécois qui s’appelle « Déclic d’entreprendre ».

En 10 jours, on fait construire à la personne son projet de A à Z, notre objectif étant de transformer littéralement les porteurs de projets en entrepreneurs. C’est un accompagnement individualisé, en petits groupes. Nous ne faisons pas de formations théoriques et généralistes qui ne correspondent pas aux attentent des candidats.

Les auto-entrepreneurs ont davantage besoin que l’on accompagne le contenu de leur projet, plutôt que le contenant juridique et administratif. Ils n’ont pas pour ambition de devenir des experts en comptabilité, en fiscalité ou en droit des sociétés.

Leur priorité est de construire leur offre, la vendre, facturer et encaisser.

J’ai toujours rappelé que le salut n’est pas dans le statut, mais dans le projet !

Nous avons monté cette offre de notre programme d’accompagnement Réussite, avec Evolussance, notre partenaire formation certifié Qualiopi, et ces formations sont éligibles à tous les financements publics, comme le CPF et même, si le Conseil Régional y participe, à l’aide individuelle à la formation.

Quelles sont les initiatives proposées par l’UAE pour promouvoir et soutenir les auto-entrepreneurs en France ?

Je viens de vous parler de notre formation « Déclic d’entreprendre », mais l’UAE c’est d’abord la promotion et la défense du régime de l’auto-entreprise, ainsi que l’accompagnement des créateurs et auto-entrepreneurs.

Vous retrouverez nos communiqués de presse qui résument bien nos actions et nos engagements sur notre site internet.

Nous développons en ce moment un réseau territorial fort, pour aider localement les personnes qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat.

Nous créons des lieux d’accueil, d’accompagnement et de formation que ce soit à Lille, Nice, Nantes, Marseille, Bordeaux, Toulouse. Dans tous ces lieux que nous multiplierons, pas de bla bla, du rapport humain, de l’efficience et de l’efficacité.

Quelles sont selon vous les perspectives pour l’entrepreneuriat en France ? Est-il au beau fixe ?

Je suis un éternel optimiste, et je trouve que les signes et perspectives sont encourageants : une révolution du travail est en cours, elle ne s’arrêtera pas. Le seul risque que je vois et nous en avons longuement parlé, c’est le blocage, voire le recul, à cause d’un interventionnisme trop fort de l’Etat ou de l’action négative de certains corps intermédiaires. N’oublions pas que nos concitoyens ont envie de créer leur bonheur, l’Etat ne le donne pas, il doit simplement fixer les grandes lignes, donner les moyens et laisser faire le reste. L’exemple de nos médaillés Olympiques en est la démonstration.

Enfin, je suis résolument optimiste aussi parce que les Français sont de plus en plus autonomes, on le voit : 3 000 personnes par jour créent une auto-entreprise et contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est le régime le plus stable en France.

Il y aura un plafond, on ne dépassera sûrement pas les 20 ou 25% d’actifs indépendants, mais on peut raisonnablement tabler sur 5 à 6 millions d’auto-entrepreneurs dans les 5 ans.  

Rappelons-le, salariat et Indépendance ne s’opposent pas, ils se complètent. Chacun doit juste pouvoir travailler comme il le souhaite.

C’est tout le bonheur que je nous souhaite et la France, j’en suis convaincu, a besoin de cette énergie et de ces initiatives pour avancer !

Par Fabrice Richard, Co-fondateur & associé de La Faabrick Cherdet et du média l’Archipel

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