Interview #7 – Anne Le Corre de Printemps écologique

décembre 11, 2023

Retour à nos premiers amours 😉. Vous ne le savez peut-être mais notre particularité chez L’Archipel c’est que l’on qu’on vient tous les 3 du milieu syndical. Forcément, ça laisse des traces. Alors aujourd’hui, j’ai envie de vous parler d’emploi un peu différemment.

Ces derniers mois la montée en puissance du freelancing est régulièrement évoqué dans les médias. 4 millions d’indépendants, 1 millions de freelance dans le digital. De plus en plus de salariés sautent le pas et parmi les facteurs avancés pour expliquer ce phénomène, le manque de sens au travail arrive en tête.

On quitte le salariat pour se sentir libre, choisir ses missions ou être plus aligné avec ses convictions personnelles.

L’interview d’Anne Le Corre, co-fondatrice du syndicat Printemps écologique, est l’occasion pour nous de montrer qu’on peut aussi (re)trouver du sens tout en restant dans l’entreprise. Comment ? En s’engageant pour faire avancer les choses.

J’ai connu Anne au sein de Social Demain. Petit clin d’œil à Denis Maillard et Phillipe Campinchi qui font vivre ce réseau. Pour celles et ceux qui ont moins de 35 ans, qui s’intéressent au social et qui veulent bousculer les idées et les pratiques actuelles, contactez-les. L’expérience vaut le coup !

Anne Le Corre Printemps écologique l'Archipel

 

Merci à Anne Le Corre d’avoir répondu à nos questions.

Vous pouvez également retrouvez toutes nos autres interviews ici !

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Le syndicat a été créé le 1er mai 2020 (la symbolique est forte 😊). Tu peux me parler de sa genèse ? Comment vous est venu l’idée de créer Printemps écologique ?

 

Ça part de salariés qui souhaitaient s’engager dans leur entreprise sur la question écologique, pousser des initiatives et qui se sentaient un peu seuls. On s’est regroupé en collectif et on a essayé d’explorer tous les leviers d’actions qui étaient à notre disposition.

Ça a commencé assez simplement, par des réunions dans des bars, dans des cafés. Ce qui nous rassemble au départ, c’est la conscience de la crise écologique, de son urgence et du fait que les entreprises ne vont pas assez vite sur ces questions.

On est juste après la loi Pacte qui ouvre la possibilité d’inscrire une raison d’être dans les statuts de l’entreprise et donc que cette dernière puisse avoir d’autres missions potentielles que la profitabilité.

 

Modification de l’article 1833 du code civil qui affirme désormais la nécessité pour les sociétés de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux inhérents à leur activité :

« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

 

Par exploration et aussi parce que certains des membres du collectif étaient RH dans leur entreprise, on est arrivés à cette idée que pour faire davantage avancer les choses, pour être écouté, il fallait intégrer les instances existantes. Petit à petit on s’est intéressé au CSE, à la représentation du personnel et donc aux syndicats.

On ne se retrouvait pas forcément dans les syndicats existants alors on a eu envie de se constituer nous en tant que syndicat.

Quand on a créé Printemps écologique, nous étions en plein Covid. Je crois que ça a aussi joué un rôle important.

La nécessité de changer notre manière de produire apparaît au grand jour parce que ce n’est pas possible d’avoir la moitié des biens que l’on consomme fabriqués ailleurs et qu’ils soient indisponibles quand on en a besoin (masques, médicaments).

Et puis c’est la première fois que les émissions de gaz à effet de serre baissent. On se dit à ce moment-là, notamment lors du premier confinement, que nous étions à un moment charnière, qu’on ne recommencerait pas à travailler, à produire comme avant.

Bon finalement ça a recommencé comme avant. Oups (rires). Mais ça n’empêche que le Printemps écologique était né.

On parlait de quête de sens en introduction. Est-ce que c’est un des moteurs chez les militants et militantes du Printemps écologique ? C’est ce que tu constates ? Tu peux me dresser leur portrait-robot ?

 

Le portrait-robot de nos militants : des femmes et des hommes assez jeunes (âge moyen proche de 35 ans) qui ont à peu près toutes les typologies de métier et qui sont salariés d’entreprises très différentes. Ça va de la grosse entreprise (Orange, Nestlé) à la petite PME.

Ce sont des salariés qui ont finalement des motivations assez peu éloignées de celles des fondateurs et fondatrices de Printemps écologique.

Si je résume ce qu’ils et elles nous disent : « je comprends la crise économique et sociale, j’ai envie d’agir et de prendre un nouveau rôle dans l’entreprise au sein du CSE. Parce que je pense que ça va changer les choses et aussi résoudre ma propre dissonance, entre mon engagement personnel, ma conscience de la crise écologique et le fait que je constate que mon entreprise n’en fait pas assez sur le sujet ».

On a beaucoup de personnes qui n’ont jamais eu d’expérience syndicale auparavant, qui prennent ce rôle pour la première fois en ayant envie d’être utile. On les accompagne vraiment pas à pas, on leur explique par le menu détail les différentes étapes par lesquelles elles vont passer.

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Beaucoup de salariés se tournent vers le syndicalisme lorsqu’elles rencontrent une situation compliquée dans leur carrière (licenciement, harcèlement, conflit avec l’employeur ou avec un collègue…). J’ai l’impression dans ce que tu me décris que le moteur de l’engagement est assez différent chez Printemps écologique. Tu confirmes ?

 

La motivation, c’est un besoin de changer les choses, de faire bouger les lignes. Et je pense que c’est la même chose chez toutes les personnes qui s’engagent syndicalement ! Quel que soit l’étiquette syndicale.

C’est finalement une réponse à un mal être, une injustice constatée, une inaction de la part de l’entreprise.

Et le travail d’un syndicat c’est évidemment de protéger les salariés et dans notre cas, nous intégrons dans la notion de protection des salariés la protection de leur conditions de vie futures.

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Comment tu expliques que dans le syndicalisme, comme en politique, des mouvements se construisent sur la question climatique ? Est-ce un sujet si spécifique qu’il ne peut être traité dans un « parti/syndicat traditionnel » ? On ne voit pas de parti Emploi par exemple, alors qu’on ne peut nier l’impact de ce sujet sur le quotidien des Français ? 

 

Ça bougeait trop lentement. Ma conviction c’est que si ça émerge, c’est que c’est légitime.

Les choses bougent très lentement sur la question écologique dans l’entreprise. C’est douloureux de se dire que c’est lent à ce point-là.

La question écologique, c’est la condition de notre vie sur terre donc c’est une question sociale par essence. On manque encore de grilles d’analyses, d’une vision claire de la société qui intègre la question écologique.

Si notre action fait que les autres vont plus vite sur ces sujets, on prend 😉.

Tu peux me donner quelques exemples d’actions concrètes de sections/élus CSE Printemps écologique au sein de leurs entreprises ?

 

Une action concrète qui fonctionne bien c’est la mise en place de commissions écologie qui permettent de proposer des grilles d’analyse des impacts environnementaux des différents projets proposés par la direction.

Récemment, au sein de d’un grand groupe français des télécoms, les salariés ont poussé pour la création d’une commission ponctuelle pour analyser l’impact d’un projet immobilier de nouveaux bureaux. La commission a fait 14 propositions, 12 ont été retenues et le projet initial a été amendé. Ça a créé un précédent et la commission a été pérennisée. Elle analysera désormais tous les projets présentés au CSE par la direction.

Dans la même idée, dans un groupe de l’agro-alimentaire, il y avait un projet d’installation de chaudière bois-énergie. On est intervenu pour amener de l’expertise afin d’empêcher ce projet en démontrant que c’était une aberration pour l’écosystème. Le projet n’est pas encore remis complètement en question mais les discussions sont en cours.

On a plein d’autres exemples, des CSE qui sont plus volontaristes que leur direction et qui poussent pour établir des bilans carbones de leur entreprise.

On va avoir des réflexions sur la mise en place de comités d’éthique, notamment dans les métiers du conseil, pour savoir si on prend tous les clients (entreprises pétrolières par exemple) ou si on refuse certaines missions. Ce n’est pas toujours facile parce qu’on touche ici au business mais ces idées font leur chemin, notamment parce que ce sont des demandes fortes des salariés.

On intervient aussi sur la question de l’épargne salariale pour que les fonds soient réorientés vers des fonds ISR (Investissement Socialement Responsable) pour éviter de financer des projets dans les énergies fossiles.

Tu es dédiée à 100 % à Printemps écologique, c’est quoi ton quotidien au sein de l’organisation ?

 

Concrètement, j’ai 3 rôles au sein de Printemps écologique.

  • Appui à la mobilisation des salariés. Qu’ils aient tout pour être clair dans leurs messages vis-à-vis de leurs collègues, de leur direction.
  • Accompagnement aux élections professionnelles. De A à Z donc comment présenter une liste, négocier un protocole d’accord préélectoral …
  • Accompagnement sur le mandat et notamment la partie formation. . C’est un enjeu important pour nous étant donné le nombre de primo syndiqués chez nous.

On a 13 syndicats sectoriels, on en aura 22 à la fin de l’année, et déjà près de 500 adhérents. Nous avons d’excellents résultats aux élections dans les entreprises, on présente de plus en plus de listes, on nomme des délégués syndicaux et on les forme.

Un mot de la fin pour nos lecteurs et nos lectrices ?

 

J’aimerai vraiment dédramatiser l’engagement syndical. Vous n’avez pas besoin d’expérience syndicale pour rejoindre Printemps écologique. Si vous vous sentez concernés par l’urgence écologique et sociale, que vous avez envie de vous mobiliser, rejoignez-nous.

Après la prise de conscience individuelle, le temps de l’action collective est venu !

On accompagne nos militants à toutes les étapes, on forme les CSE au dialogue social environnemental, vous ne serez pas seul. On a notamment créé une boîte à outils pour accélérer la transformation écologique des PME.

Dernière chose, je te disais qu’on a monté un pôle de formation. On forme même les fédérations et les CSE où on n’est pas présent.

Le plus important c’est qu’on se donne les moyens de changer les choses collectivement.

Par Kevin Gaillardet, Co-fondateur & associé de La Faabrick Cherdet et du média l’Archipel

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