Interview #4 – Devenir entrepreneurs-salariés : c’est possible avec la Coopérative d’Activité et d’Emploi !

septembre 14, 2022
Métiers de l'artisanat

De plus en plus de personnes font le choix de l’indépendance pour exercer leur activité.

 

    • Leurs motivations ? La quête de liberté, d’autonomie, de sens…

    • Les principaux freins identifiés par ces mêmes personnes : la solitude et la prise de risque.

Et si on vous disait qu’il existait un moyen de s’épanouir dans l’entreprenariat, tout en étant accompagné et en faisant le choix de la sécurité ? Tout cela est possible en rejoignant une Coopérative d’Activité et d’Emploi !

Les mots solidarité et gouvernance partagée sont ici plus qu’un concept, c’est le fondement même du projet coopératif incarné par les CAE : un collectif de travail autour d’un projet commun. 

Encore méconnue, cette forme alternative d’activité (FAA) particulièrement intéressante pour ses plus-values concrètes pour les entrepreneurs et les valeurs qu’elle incarne, mérite pourtant de se faire connaître par les indépendants, freelances et autres porteurs de projet, mais aussi à se faire reconnaître par les pouvoirs publics.

Pour échanger autour de la CAE, sa définition, son avenir, nous avons le plaisir aujourd’hui de recevoir :

Cécile MALATERRE Coopérative d’Activité et d’Emploi

Cécile MALATERRE

Baptiste BETINAS Coopérative d’Activité et d’Emploi

Baptiste BETINAS

Tous deux entrepreneurs salariés associés (l’une consultante, l’autre charpentier), co-présidents de la fédération des CAE et investis dans la gouvernance de leurs coopératives de taille très différentes (Suite 126, toute nouvelle CAE basée à Toulouse ; CABESTAN, la plus importante CAE du bâtiment en France avec près de 300 entrepreneurs).

Métiers de l'artisanat

QUESTION 1

Cécile et Baptiste, vous êtes tous les deux impliqués dans la gouvernance et dans la vie de votre CAE. Qui mieux que vous deux pour nous éclairer : c’est quoi concrètement une coopérative d’activité et d’emploi ? 

Baptiste : « Tout d’abord, il est important de comprendre qu’une coopérative d’activité et d’emploi (CAE) est une entreprise à part entière. Cette entreprise est composée de salariés classiques, et d’entrepreneurs sous un statut d’entrepreneurs salariés associés (ESA) qui exercent au quotidien leur activité professionnelle. Une coopérative d’activité et d’emploi a des objectifs de rentabilité, des enjeux en ressources humaines, et fait face comme les autres entreprises aux retournements conjoncturels auxquels peuvent être confrontés les activités des entrepreneurs. 

Mais la CAE, c’est aussi plus que cela. Une coopérative d’activité et d’emploi a en effet plusieurs dimensions : statutaire et juridique bien sûr, mais aussi politique voire philosophique.

Selon moi, l’une des raisons d’être de la CAE est de permettre aux entrepreneurs de tous secteurs confondus de se réunir et d’exercer leur activité d’indépendant dans un cadre sécurisé et collectif. Ils sont autonomes et responsables de leur activité mais davantage préservés de l’isolement et de la précarité.

Depuis la loi de 2014 qui a donné un véritable cadre juridique à ce dispositif, du chemin a été parcouru :  aujourd’hui les CAE proposent une mutualisation de services pour les entrepreneurs qui la composent, un accompagnement personnalisé aussi, pour faire face aux problématiques de chacun.  Dans le bâtiment, les corps de métier se partagent naturellement les besoins car une maison se construit à plusieurs donc l’entraide et la solidarité au sein de ma CAE sont assez naturelles. Mais les exemples de mutualisation de moyens ne s’arrêtent pas là. Nous pratiquons la mise en commun de marchés, de chantiers, en proposant des réponses et solutions collectives à nos clients, nous tentons également de mettre en place des achats groupés et privilégions les filières courtes et écoresponsables. Enfin, et c’est important, la CAE propose un projet coopératif. Ce troisième point nous distingue assez nettement d’autres formes alternatives d’activité comme le portage salarial. »

QUESTION 2

Concrètement c’est quoi ce projet coopératif ?

Baptiste : « Eh bien c’est le partage des décisions qui concernent la vie et l’avenir de la CAE, c’est le fait de se positionner, de choisir un cap, ensemble. Cela revient finalement à ajouter la démocratie dans le fonctionnement de l’entreprise, ce qui induit bien sûr le partage également des richesses produites par celle-ci.

Cécile : Une CAE est une coopérative, donc les principes coopératifs sont le socle de la structure : partage de la richesse créée, une personne égale une voix. À la différence des sociétés de portage salarial, effectivement, la CAE appartient à ses entrepreneurs salariés associés, mais aussi aux autres salariés associés de la CAE. Coopérer c’est à la fois bénéficier des actions d’accompagnement et des services mutualisés et participer par la contribution coopérative au fonctionnement de tout le système et ainsi permettre à la coopérative de se développer. Là encore, cette contribution financière fait l’objet d’une décision collective, on décide ensemble à quoi elle va servir.

Ce partage de la gouvernance ne se limite pas aux questions administratives, c’est aussi une réflexion commune sur le projet de la CAE en tant qu’entreprise à proprement parler, on y participe, on coconstruit l’avenir ensemble et on fait évoluer la CAE au fil du temps. On a tous notre mot à dire. 

 Je tiens enfin à préciser qu’un entrepreneur ne devient pas associé au moment où il entre dans la CAE, cela se prépare, cela s’apprend, et cela prend du temps : il doit impérativement être devenu associé sous 3 ans en vertu de la loi, mais cela peut être plus tôt pour celles et ceux qui souhaitent s’investir plus rapidement dans le collectif et la gouvernance. »

QUESTION 3

Entrepreneur-salarié… deux mots antinomiques en apparence qui sont pourtant l’originalité et en partie l’intérêt de la coopérative d’activité et d’emploi, avec en plus l’accès au sociétariat. Baptiste et Cécile, je suis freelance et j’ai un projet professionnel, qu’est-ce que vous me diriez pour me convaincre de rejoindre une CAE ? Qu’est ce qui fait la différence avec les autres statuts ?

Baptiste : « Un entrepreneur-salarié associé (ESA) est avant un tout un entrepreneur avec un projet professionnel et une activité entrepreneuriale : la CAE est là pour l’aider dans toutes les étapes de ce projet et dans le développement de son activité, sur le long terme. C’est d’ailleurs ce qui distingue la CAE d’une couveuse notamment, car elle n’est pas là pour accompagner uniquement le test d’activité.

Pour revenir à la question, en réalité il y a une grande diversité de raisons qui peuvent faire choisir l’entreprenariat en CAE plutôt que d’autres statuts, cela dépend bien sûr du vécu et des besoins de chaque personne. Ce qui me semble néanmoins essentiel, et vraiment différenciant, c’est que derrière ce choix « statutaire » il y a une vraie quête de sens, un désir de changement, l’envie de participer aux décisions de l’entreprise, et ce de manière démocratique ! 

Tous les profils existent bien sûr, et on peut rejoindre par hasard une coopérative d’activité et d’emploi et découvrir que cela nous correspond parfaitement. Finalement quand on a besoin de lancer son activité professionnelle, la CAE est un moyen formidable pour y parvenir, avec des formations, des accompagnements collectifs et individuels, la gestion administrative et bien sûr l’accès à un collectif d’entrepreneurs. Ensuite, le temps passant, si on se rend compte que la vie démocratique de l’entreprise nous intéresse, on peut passer le cap et s’impliquer pleinement dans le projet coopératif. 

La CAE est en phase avec les mouvements sociétaux profonds que nous connaissons actuellement. Je pense notamment à l’attrait du travail indépendant et les désirs de changement dans notre rapport au travail, mais aussi les questionnements autour des enjeux écologiques qui traversent notre pays, et le monde ! Les coopératives d’activité et d’emploi font partie de l’économie sociale et solidaire, donc les questions de solidarité et d’utilité sociale, forcément nous y sommes sensibles. 

Aujourd’hui tous les types de profils nous rejoignent, cela va de personnes non diplômées à d’autres qui ont Bac + 4 ou Bac +5 : c’est ce qui fait la richesse de notre modèle. 

Enfin, un point qui me semble important, toujours dans cette idée de sens, c’est le sentiment d’appartenance dans une CAE qui n’est pas forcément intuitif aujourd’hui dans les entreprises traditionnelles.

Là, au contraire, on a le sentiment que c’est Notre entreprise, d’appartenir au même collectif, et ce malgré le fait que l’on soit chacun consacré, de manière autonome, au développement de notre activité. 

La coopérative d’activité et d’emploi permet finalement de recréer un collectif de travail. »

Cécile : « Quand on fait le choix de devenir entrepreneur-salarié associé (ESA), on ne choisit pas entre les statuts de salarié et d’entrepreneur, on est les deux à la fois. Ce que cela apporte ? En plus d’avoir un cadre administratif pour exercer une activité professionnelle en toute autonomie, rejoindre une CAE contribue à développer son pouvoir d’agir et son émancipation tout en garantissant sa sécurité grâce la protection sociale du salariat.

Dans notre modèle, Il y a une forte dimension d’accompagnement au projet entrepreneurial, c’est important d’insister sur ce point. Si vous rejoignez une coopérative demain, vous serez accompagné, que votre activité soit naissante ou que vous exerciez depuis plusieurs années. Vous serez épaulé à chaque étape de votre projet, cela va du test de votre activité, à des formations pour s’adapter aux évolutions de votre métier au bout de 5 ans par exemple ! 

Une des finalités de cette forme alternative d’activité (FAA), c’est aussi d’aider celles et ceux qui se lancent, un peu comme un incubateur.

Et quand on se lance, quoi de mieux que de côtoyer ses pairs, qui ont passé le pas comme vous quelques mois, quelques années auparavant : le collectif d’entrepreneurs est très précieux. Il l’est tout autant par la suite, quand la vie entrepreneuriale passe par des hauts et des bas.

Dans le même sens, j’ajouterai que les entrepreneurs au sein des coopératives d’activité et d’emploi ne sont pas en concurrence, au contraire, ils développent des partenariats, des réponses communes, pour des appels à projet, ou des appels d’offres.

Par exemple, la grande majorité des CAE ont une démarche QUALIOPI, et structure des pôles formation dont bénéficient les entrepreneurs salariés ».

QUESTION 4

Vous avez récemment, en décembre 2020, créé une fédération des CAE, qui regroupe aujourd’hui plus de 130 coopératives d’activité et d’emploi et 12 000 entrepreneurs salariés dans toute la France. Pourquoi cette démarche ?

Cécile : 

Pour être plus forts, toutes et tous ensemble !

« Dans l’histoire des CAE, il y a eu un regroupement des coopératives en deux réseaux principaux, COPEA et Coopérer pour Entreprendre. Ces deux organisations ont décidé de mettre leur force en commun au sein du Mouvement des SCOP et SCIC (plus de 3800 entreprises et plus de 70000 emplois en France) qui regroupe toute la coopération de travail associé en France et se décompose au niveau territorial en union régionale sur tout le territoire. Cela nous permet d’être proche des besoins du terrain et ainsi fournir un accompagnement opérationnel.

La maturité du secteur et l’interconnexion croissante entre les coopératives d’activité et d’emploi les ont en effet amenées à se poser la question de porter des actions ensemble, des actions de plaidoyer (ndlr : lobbying) afin de sécuriser et adapter le modèle, mais aussi des actions de communication afin de mieux faire connaître, et reconnaître, l’entreprenariat-salarié-associé.

La fédération, c’est donc aussi un moyen au sein du mouvement coopératif pour aider les CAE dans leur lancement, et dans leur développement, sur des questions juridiques, organisationnelles et en matière de communication.

Baptiste : « Face à notre déficit de notoriété, nous revendiquons une volonté claire de changement d’échelle à court terme, avec notamment la mise en place d’une politique de mutualisation d’outils et de services pour toutes les CAE de France. Nous souhaitons coordonner nos actions tous ensemble, sur tout le territoire.

Pour y parvenir, un autre enjeu majeur en plus de ceux cités par Cécile est celui des chiffres, le secteur n’ayant pas d’observatoire jusqu’à maintenant, on en a créé un au sein de la Fédération. Nos chiffres clés sont déjà disponibles sur notre site Internet. Nous avons l’ambition d’approfondir ces données pour évaluer l’impact social, environnemental et économique des CAE. »

QUESTION 5, pour conclure

En quelques mots, c’est quoi les prochaines étapes pour faire connaître et reconnaître les CAE ? 

Baptiste : « Pour moi, la clé, c’est d’insister et rappeler qu’un entrepreneur salarié associé en CAE est un entrepreneur à part entière !

La coopérative permet une réelle stabilisation des parcours professionnels des ESA, leur assurant une viabilité économique largement supérieure à celle des micro-entrepreneurs par exemple.

Avec des statistiques et des argumentaires solides, la fédération aura les clés en main pour s’adresser aux décideurs politiques, et à d’autres prescripteurs, et enfin faire bouger les lignes. On l’a bien vu pendant la période COVID, d’autres statuts ont été pris en compte spontanément par l’administration et les pouvoirs publics, mais cela va changer.

Il faut diminuer le turn over, faire augmenter les rémunérations afin de renforcer notre crédibilité. Bien sûr une CAE peut servir de tremplin, mais ce n’est pas son seul objectif : elle permet surtout la construction d’un parcours sécurisé, sur le long terme. »

Cécile : « Pour atteindre ces objectifs, nous cherchons à nouer des partenariats avec des prescripteurs comme Pôle Emploi, la BPI ou encore l’APEC, mais nous restons encore bien moins connus que la micro-entreprise qui offre pourtant bien moins de garanties à court, moyen et long terme pour les freelances. 

Mais la fédération est justement là pour changer tout ça, nous avons d’ailleurs un rendez-vous important du 14 au 16 septembre, la Grande Rencontre des CAE, à Sète, pour échanger sur tous ces sujets passionnants ! »

Métiers de l'artisanat

Par Fabrice Richard, Co-fondateur & associé de La Faabrick Cherdet et du média l’Archipel

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